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Bouger les lignes

Bien vieillir... psychiquement aussi !

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La souffrance se loge parfois dans des endroits précis du corps humain, parfois non elle est diffuse, et parfois encore elle n’est pas physique ou physiologique ou biologique, elle est psychique.
Qui n’a jamais ressenti cette douleur intérieure qui fait se sentir si mal, si las, si terriblement diminué que l’on voudrait dormir encore et encore pour ne plus ressentir cette déchirure ou ce vide ! Cette douleur psychique peut devenir un état émotionnel transitoire ou chronique qui va avoir une résonance sur la matière de notre corps. Elle va aussi influer sur nos comportements et se traduire par des actes. Dès lors que la douleur psychique se manifeste dans nos manières d’être et notamment d’être en relation avec les autres, on parlera de troubles psychiques. Et dès lors qu’un diagnostic psychiatrique aura été posé sur ces troubles, on parlera de maladie psychique.

La dépression est tout ça à la fois

Elle est une maladie psychique parmi les plus répandues avec une symptomatologie bien définie (changement de l’humeur, tristesse, fatigue, ralentissement psychomoteur, troubles de l’appétit et du sommeil, impossibilité de maîtriser ses émotions, mais aussi sentiments d’impuissance, d’auto-dépréciation, etc.).
En tant que trouble psychiatrique, la dépression reste très largement sous-diagnostiquée chez les personnes âgées pour tout un tas de raisons. Parce qu’elle est parfois cachée sous des plaintes somatiques ou des accès délirants, ou encore masquée par une comorbidité. Mais surtout parce que ses manifestations comportementales sont souvent à tort mises sur le compte du vieil âge. Avancée vers la mort, n’est-ce pas se défaire de ses attaches affectives, sociales, identitaires ? Aussi le repli sur soi, l’isolement, les pensées sur la mort ou les idées suicidaires, tout cela même qui devrait inquiéter paraît finalement normal chez le vieillard.

 

Elle est aussi un ressenti personnel, singulier, fait de détresse intime, de souffrance morale et de désespoir. Un état d’âme dominé par une émotion envahissante et douloureuse : la tristesse.
Autant, la tristesse est une émotion normale, autant quand elle devient durable et prend le pas sur toutes les autres émotions, elle devient pathologique. A tort ou à raison, lié à un dérèglement ou pas, à un dysfonctionnement ou pas, elle provoque un cercle vicieux où la perte d’intérêt et de plaisir induit encore plus de mélancolie, où le repli sur soi et l’étrangeté au monde s’ajoutent à l’isolement, où l’affaiblissement réel du corps et de l’esprit s’ajoute à la dévalorisation de soi et à l’apathie.
Cette souffrance, qui concerne soi avec soi-même, concerne aussi soi avec les autres. Il n’ y plus d’intérêt, plus de sens, rien pour éviter ou faire cesser cette humeur, aucune perspective plaisante ou agréable.

 

Cet état d’âme trouble donc véritablement la perception et la conscience des personnes qui en souffrent. On n’est pas dans le registre de la réaction normale à un événement malheureux ou à une situation stressante. On n’est pas non plus dans des formes de réactions régressives transitoires liées aux crises que peut générer le vieillissement aux âges les plus avancés.

Cette altération durable de l’humeur ne fait pas partie du processus normal de vieillissement

Oui la vieillesse est une période de la vie qui peut être très déstabilisante du fait des multiples changements qui s’imposent à l’individu. Des transitions qui se succèdent et se superposent et qui exigent de la part des personnes une grande mobilisation de ressources. Un corps qui change et sur lequel on sait ne plus pouvoir compter qui nous fait nous sentir si vulnérable – un statut social et des rôles familiaux qui changent aussi et qui nous déstabilisent dans ce que l’on est – des deuils de proches autour de soi qui s’en vont avant nous – ajouter à cela l’arrêt de la conduite automobile, l’arrivée d’une aide à domicile, le déménagement pour un lieu de vie dit plus adapté, que d’atteintes à l’image de soi, que de changements non désirés qu’il faut pouvoir encaisser et faire avec malgré tout !
Dans de telles conditions, on peut comprendre que l’humeur soit à la mélancolie, non ?

 

Les choses ne sont pas aussi évidentes qu’elles en ont l’air. Il faut savoir, par ailleurs à tout cela, que les psychologues observent un changement tout à fait inattendu avec le vieillissement qui irait plutôt dans le sens d’un effet de positivité dans la manière de réguler ses émotions. Au départ, les chercheurs ont essayé de comprendre pourquoi, contre toute attente, les personnes plus âgées manifestaient un plus haut niveau de bien-être que les plus jeunes. Ils ont alors constaté que chez les premiers, le traitement de l’information se faisait en privilégiant les stimuli positifs. Cela pourrait s’expliquer par la conscience d’un temps limité qui conduirait à privilégier tout ce qui est source de bien-être social et émotionnel – on va chercher plutôt ce qui fait sens dans sa vie, plutôt qu’expérimenter et préparer l’avenir.

 

De telles idées aussi discordantes montrent combien il est compliqué de saisir une réalité multiforme, mais surtout cela interroge sur le désespoir si intensément ressenti par nombre de nos concitoyens qui se donnent la mort dans leurs vieux jours. Si le désespoir n’est pas une maladie de la vieillesse et que l’on dispose, au contraire, de plus de positivité en vieillissant, est-ce à dire que ce sont les conditions d’existence qui troublent l’humeur de nos aînés ?

Des conditions sociales d’existence peu favorables au bien-être

Si on me reconnaît comme un alter-ego naturel.
Si je dispose des moyens pour faire la place qui me convient.
Si mon corps peut s’affaiblir sans me disqualifier en tant que personne.
Si je ne me sens pas de trop, ni humilié dans mon intimité, sans perspectives d’évasion ou d’amélioration…
Est-ce que les idées noires qui me traversent s’ancreraient en moi de la même manière ?

 

Tout laisse à penser que non, bien évidemment. Les modèles culturels et les modes de relation entre les générations, la manière dont on considère la vieillesse et dont on traite les individus les plus vulnérables ou dépendants sont des facteurs qui, à la fois, prédisposent, contribuent et aggravent des troubles de l’humeur qui auraient pu n’être que passagers.
La bonne nouvelle, c’est qu’à l’inverse ils peuvent aussi constituer des facteurs de protection face aux crises et aux fragilités provoquées par le vieillissement.

 

C’est pourquoi, avant toute chose, retenons que la dépression ne s’explique pas naturellement par le vieil âge d’une personne. C’est un trouble psychique qui agit comme un cercle vicieux venant altérer notre conscience et nos comportements. Il est donc important de ne pas banaliser les états d’âme mélancoliques même lorsqu’on considère que la personne a des raisons de les ressentir.
Il n’y a pas de raison de laisser une personne souffrir parce que son mal est dans la tête ou parce qu’on n’y peut rien. On peut toujours accueillir cette tristesse et lui donner la place qu’elle mérite, parce qu’elle a peut-être des raisons d’être là cette tristesse. L’accueillir, reconnaître et soutenir du mieux que l’on peut les personnes qui en souffrent. Les soignants disposent d’une partie du remède. Une autre part est d’une certaine manière entre nos mains à tous. Il importe à tout à chacun d’agir à son niveau pour changer les conditions de vie offertes dans le grand âge. Se dire que d’autres modes de relation sont possibles, ce n’est pas déclarer la fin de la souffrance humaine, juste regarder autrement les possibles.