EN

Les belles rencontres

Le terreau de l'âgisme en France

Temps de lecture : 4 minutes 20 secondes

Les messages forts d’Audrey Dufeu Schubert pour réussir la transition démographique.

Le 12 décembre 2019, la Députée de Loire-Atlantique, Audrey Dufeu Schubert, remettait à la Ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, son rapport pour “Réussir la transition démographique et lutter contre l’âgisme”. Un rapport phare qui doit alimenter la prochaine loi Grand Âge toujours en attente.

Rencontrée dans son fief de Saint-Nazaire, quelques jours avant la remise officielle de son rapport, Audrey Dufeu Schubert est revenue pour Oui Care sur les principales analyses de ce projet inédit.

LE CONSTAT DE LA MÉFIANCE ET DE LA DÉFIANCE RÉCIPROQUES ENTRE LES GÉNÉRATIONS

La défiance, je l’avais sentie dans les deux sens, c’est-à-dire qu’il y avait un manque de reconnaissance partagé, réciproque“. Les crises sociales qui ont traversées dernièrement notre pays ont aussi révélé, selon la Députée Audrey Dufeu Schubert, une autre menace sur la cohésion sociale, celle de la méfiance et de la défiance entre les âges. Cette défiance n’est pas celle qui s’exprime envers un proche ou une personne de son entourage. C’est la défiance envers l’autre, celui qu’on ne connaît pas, et qui traduit avant tout un manque de reconnaissance de part et d’autre.

C’est ce premier constat et la volonté de travailler sur les leviers de désamorçage qui sont à l’origine de la mission gouvernementale confiée par le Premier Ministre à la Députée au mois de juin pour travailler sur la place et l’image des aînés dans notre société.

Le défi de la transition démographique implique de se soucier du « liant » entre les différentes générations et entre les individus de tous âges. Et sur ce point, force est de reconnaître qu’un certain nombre de représentations, de préjugés, mais aussi de tabous et de fonctionnements institutionnels, mettent à mal la perception d’un “nous” à l’adresse des citoyens les plus âgés.

LE TERREAU DE L’ÂGISME EN FRANCE

Considérant la discrimination liée à l’âge de manière globale, la Députée nous a ainsi offert des messages forts sur tous ces facteurs qui participent chacun à leur niveau à déconsidérer et à déclasser les plus âgés d’entre nous :

Le vieillissement considéré sous l’angle de la pathologie et de la maladie

Cette conception fortement ancrée, qui associe le vieillissement à une maladie ou à une pathologie, est celle-là même qui explique qu’aujourd’hui encore, le vieillissement est avant tout traité au niveau des politiques publiques de santé et des affaires sociales.

Pour autant, nous rappelle la Députée, Audrey Dufeu Schubert, le sujet est transversal et implique un arsenal d’actions lui-aussi transversal. “Cela doit vraiment être une politique portée de manière transversale pour ne plus associer le vieillissement à la maladie et à la déficience”.

La mort déniée

Il y a toute la question de la place de la mort dans notre société qui a été aussi totalement occultée au fil des ans”. La mise à distance physique et symbolique de la mort, de cette réalité universelle, participe aussi de cette défiance vis-à-vis de l’âge et du vieillissement. C’est un peu comme si on voulait occulter la vieillesse de nos existences parce que celle-ci mettait trop de lumière sur la finitude de nos trajectoires. Changer le regard sur le vieillissement, cela passe donc aussi par “resocialiser la mort” et permettre aux citoyens de se réapproprier les sujets aussi cruciaux que les directives anticipées et les soins palliatifs, encore trop souvent considérés comme l’apanage du monde médical.

Le culte de la performance

C’est un angle d’analyse que les rapports gouvernementaux n’ont pas vraiment l’habitude d’aborder. Et pourtant pour Audrey Dufeu Schubert, c’est un sujet que l’on se doit de poser pour justement s’en distancier et favoriser l’acceptation du vieillissement (entre autres choses). Ne valoriser que la performance au détriment d’autres formes de rapport au monde conduit à dévaloriser tous ceux qui ne veulent ou ne peuvent plus répondre à cette exigence. Ainsi, si l’on valorise la vieillesse, c’est à travers la notion de “bien vieillir actif et en bonne santé” tant celle-ci répond finalement à la norme de performance.

On a le droit à ne pas être parfait ! Si on ressort un petit peu de ce tout performance, de ce dogme de la performance, on aura des effets bénéfiques sur l’avancée en âge et le vieillissement, la manière dont il est reconnu dans notre société, mais on l’aura aussi sur plein d’autres choses.

Le fonctionnement des politiques publiques

Pour Audrey Dufeu Schubert, les politiques publiques sont trop cloisonnées et visent avant tout à répondre aux besoins collectifs. Ce faisant, elles ont finalement laissé échapper une variable essentielle du défi de la longévité : la prise en compte des besoins des individus eux-mêmes. Une élaboration et un pilotage centralisés par le haut impliquent inexorablement la prévalence des process sur les individus, charge à eux de rentrer dans les cases pour se voir octroyer des financements. Un mode de calcul des aides financières centré sur des besoins purement physiologiques ne peut répondre finalement qu’à une partie seulement des besoins des personnes âgées. A propos de la grille AGGIR*, la Députée considère qu’il faudrait pouvoir la “faire évoluer en intégrant la notion de désir et de choix de vie dans ces grilles-là qui sont trop centrées sur les besoins purs et pas suffisamment sur les désirs des personnes”.

Le vieillissement traité avant tout en termes de coût

Un discours dominant, qui court dans la presse et les médias notamment, consiste à centrer les débats sur les coûts liés au vieillissement de la population. Pour la Députée, ce discours laisse des traces sur les plus âgés, à savoir un sentiment de culpabilité et une parole disqualifiée par les intéressés eux-mêmes. “La chose qui m’a le plus interpellée, c’est vraiment cette culpabilité que j’ai ressentie très fortement chez les personnes âgées. C’est-à-dire que les personnes vieillissantes n’osent pas affirmer leurs revendications, leurs problématiques, leurs souhaits de projets de vie parce qu’elles ressentent fortement cette culpabilisation”. La longévité est une chance, mais encore faut-il pouvoir vivre cette chance autrement que dans la culpabilité et la défiance entre générations.

LUTTER CONTRE L’ÂGISME : UN COMBAT AUX MULTIPLES FACETTES

L’âgisme repose donc sur un enchevêtrement de facteurs de différentes natures, entraînant des formes de discriminations, également, diverses. C’est pour toutes ces raisons que les actions de lutte contre l’âgisme doivent reposer inévitablement sur une perspective systémique globale. C’est en considérant l’ensemble de ces niveaux d’actions, à la fois individuels, inter-personnels, territoriaux et sociétaux, que l’on peut impulser une dynamique autour de la cohésion des âges.

Et s’il ne fallait retenir qu’une idée ou plutôt une voie par laquelle commencer ?

Je crois que pour lutter contre les discriminations, déjà la première action à avoir, c’est libérer la parole ! C’est-à-dire que les discriminations, on ne peut lutter contre que si on laisse les personnes victimes de ces discriminations s’exprimer.


* AGGIR (Autonomie Gérontologique Groupe Iso-Ressource) : grille permettant d’évaluer le niveau d’autonomie, appelé GIR, et à partir duquel sont déterminées les aides individuelles.