EN

Bouger les lignes

Auxiliaire de vie : un métier d’avenir ?

Temps de lecture : 4 minutes 30 secondes

Vous rappelez-vous qui circulaient dans les rues désertes sous un beau soleil d’avril 2020 ? Tôt le matin, tard le soir ? Des blouses blanches bien sûr que l’on applaudissait de bon cœur tous les jours à 20h. Mais aussi beaucoup d’intervenants à domicile non médicaux, ces fameux travailleurs du “care”. Pour les définir, on utilise souvent la négation, c’est-à-dire tout ce qui ne relève pas de leur champ de compétences. Ainsi, pourrait-on dire que leurs missions ne relèvent pas du soin, mais du prendre soin. Ils* assistent les personnes dans leur quotidien, du lever au coucher, au travers de multiples activités qui vont de l’aide aux courses et la préparation des repas, à de l’aide à la toilette et à la surveillance des prises de médicaments, en passant par l’entretien du cadre de vie, sans oublier l’accompagnement social et de loisir. Et ceci n’est qu’un aperçu de l’étendu des tâches réalisées par ces professionnels que l’on nomme plus communément des auxiliaires de vie.

Jusqu’à la crise sanitaire de 2020, leur utilité sociale n’avait jamais été aussi visible du grand public. Jusqu’alors, ils étaient vus avant tout comme des métiers ménagers, des emplois abordables sans qualification particulière. A la portée de tous, et surtout de toutes, leur niveau de rémunération était finalement à la hauteur du faible mérite qui leur était à tort associé. Et je dis bien à tort !

 

"ils*"

L’emploi du pronom “ils” pour parler des auxiliaires de vie relève de l’euphémisme tant les femmes sont surreprésentées dans ce métier. Elles seraient entre 87% et 95% selon les chiffres officiels. C’est donc un métier occupé essentiellement par des femmes mais dont les compétences sont aussi associées au genre féminin. Prendre soin est effectivement une qualité que l’on associe naturellement aux femmes en lien notamment avec la maternité. Cela fait partie de nos schémas de pensée traditionnels sur la différence des sexes, qui explique pour beaucoup la dévalorisation de ces métiers.

Un métier de la relation humaine

Auxiliaire de vie, c’est un métier de la relation humaine avec toute la complexité que cela implique : créer le contact, générer de la confiance, garder ses réserves pour tenir son rôle, faire face au refus d’aide, à la colère, à la tristesse et à l’angoisse. Sans parler du fait que ce n’est généralement pas avec une seule personne que l’on rentre en relation dans une journée, mais plusieurs personnes aux parcours et situations tout à fait singuliers.

Il y a aussi tout l’entourage des personnes accompagnées, avec des situations plus ou moins complexes à gérer. Cela peut être un mari très investi qui a du mal à lâcher prise et qu’il faut également mettre en confiance. Cela peut être des enfants qui ne sont pas d’accord sur ce qu’il convient de faire pour leur parent. Cela peut être un aidant trop intrusif dans la vie de son proche qui appelle sans arrêt pour vérifier que ses consignes sont bien respectées. Cela peut être des situations d’abus auxquelles l’auxiliaire de vie est témoin.

Enfin, il y a tout l’écosystème de professionnels qui gravitent autour de la personne que l’on accompagne chez elle (infirmier, kinésithérapeute, taxi pour se rendre dans un accueil de jour, etc.).
On imagine bien aisément combien la gestion de ces relations humaines est complexe et exigeante.

Un métier de l’intime de proximité

Auxiliaire de vie, c’est un métier de l’intime de proximité, un métier où on approche la nudité des corps abîmés, la maladie, la mort, les drames familiaux, la solitude…
On le sait, nombre de personnes âgées vivent seules chez elles avec très peu de contacts extérieurs. Selon le dernier rapport des Petits Frères des Pauvres, 2.5 millions de personnes âgées se sentiraient seules quotidiennement et 530 000 vivraient une situation de mort sociale, c’est-à-dire sans ou quasiment sans contacts avec les différents cercles de sociabilité. Les auxiliaires de vie peuvent représenter le dernier cercle de sociabilité pour les personnes les plus isolées, et ce lien qu’ils maintiennent est souvent le point d’équilibre dans la vie de ces personnes.

D’une certaine manière, parce qu’ils sont quasiment le dernier maillon de la chaîne, au plus près de la réalité des personnes, les auxiliaires de vie vont venir combler les failles. Les failles de la société qui peine à intégrer les plus vieux, les failles de nos systèmes de solidarité, mais aussi les failles de notre système de soin à bout de souffle et de moyens. C’est bien là une des difficultés centrales de ces professionnels à qui on demande de tenir leur place tant d’un point de vue de la “juste” distance professionnelle, que des limites d’intervention liées aux soins plus complexes, et qui vont se retrouver à devoir gérer seuls des situations qui les dépassent parce qu’il n’y a concrètement personne d’autre pour le faire.

Un métier où on fait face à de nombreuses contradictions

Auxiliaire de vie, c’est un métier où on fait face à de nombreuses contradictions : celle de la personne à aider qui malgré son besoin d’aide évident la refuse catégoriquement ; celle des aidants qui veulent être assistés sans arriver à accepter de lâcher prise ; mais aussi celles de la société au travers des limites du système de prise en charge. Un des enjeux du travail de l’auxiliaire de vie est de favoriser au maximum le maintien de l’autonomie et des capacités préservées des personnes qu’il accompagne. Aussi, quand un plan d’aide prévoit pour une personne âgée en perte d’autonomie une intervention de 30 minutes le matin pour réaliser une aide au lever, à la toilette et au petit-déjeuner, cela se rapproche grandement d’une injonction contradictoire, car il est matériellement impossible d’aider comme il se doit une personne dans ces conditions.

Gérer les demandes contradictoires est quasiment inhérent au métier d’auxiliaire de vie tant certaines de ses missions sont difficilement conciliables. Entre d’un côté, le devoir de protection et la nécessité d’assurer la sécurité des personnes qu’ils accompagnent, et de l’autre côté, le respect de leur autonomie et de leurs choix de vie, il y a une sorte de grand écart pas toujours facile à gérer pour les auxiliaires de vie.

Un métier exigeant en termes de technicité

Auxiliaire de vie, c’est aussi un métier exigeant en termes de technicité. Celles et ceux qui ont dû aider leur proche à la mobilité de plus en plus contrainte par la maladie savent combien il est complexe de les mobiliser sans leur faire mal et se blesser soi-même. Ces gestes font partie du quotidien des auxiliaires de vie. Ils réalisent par exemple ce qu’on appelle les transferts, pour passer d’une position assise à debout ou à une position allongée. Pour ce faire, ils peuvent utiliser des lèves-malades de différents types selon les équipements choisis au domicile.

Par ailleurs, bien qu’ils ne soient pas des professionnels soignants, ils accompagnent des personnes atteintes par des maladies plus ou moins invalidantes. C’est le cas des maladies neuro-dégénératives qui peuvent être lourdes de conséquences pour des actes aussi élémentaires que l’aide au repas. Les atteintes fonctionnelles peuvent aller jusqu’au réflexe de déglutition et dans ce cas les risques de fausse route sont extrêmement importants. La maladie peut également entraîner des changements de comportements et d’humeurs qu’il faut pouvoir comprendre pour mieux accompagner.

Aux limites du soin, il incombe ainsi aux auxiliaires de vie de maîtriser tout un tas de compétences autour des pathologies pour à la fois adapter leur accompagnement et être en mesure de repérer les risques d’aggravation de problèmes de santé (prévention de la dénutrition, des chutes, etc.).

Un métier pour les humbles ?

Auxiliaire de vie, c’est donc un métier qui suppose tout un éventail de compétences à la fois relationnelles et techniques. C’est un métier indispensable à la société au regard du vieillissement massif de la population, du souhait de la majorité des Français de vieillir chez eux, au regard aussi des besoins de soutien des familles qui accompagnent un proche malade ou en perte d’autonomie, au regard enfin de toutes ces personnes seules qui ont besoin d’aide pour poursuivre leur vie dignement chez elles.

Alors pourquoi un tel décalage en termes de reconnaissance et de valorisation sociale, et comment y remédier ?

Là encore, on revient à la formation et à la qualification. Assurer une formation adéquate et une qualification reconnue peut contribuer à améliorer leur image auprès du public et des employeurs. Bien sûr, il convient de maintenir des formations tout au long de la carrière pour améliorer leurs compétences professionnelles et permettre des spécialités tels que l'accompagnement de fin de vie, ou encore l'accompagnement de pathologies neurologiques.

Une auxiliaire de vie prend la parole (in Vincent Valinducq. Je suis devenu le parent de mes parents. Stock, 2023)