Bouger les lignes
Dis-moi quel est ton âge, je te dirai si tu es vieux !
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Qu’est-ce qui fait que l’on se sent vieillir ?
Entre âge biologique et événements de vie marquants, l’Institut Oui Care s’est penché sur la question !
La chose peut surprendre tant l’âge biologique apparaît avec la force du naturel, mais l’homme n’a pas toujours compté le vieillissement ! L’âge comme instrument de mesure de l’évolution biologique est une donnée relativement récente dans l’histoire des sociétés occidentales. En France, cela remonterait à l’institutionnalisation de l’enregistrement par le clergé des baptêmes, mariages et décès (obligation faite au clergé fixée par l’ordonnance de Villers-Cotterêts, 1539) [1].
Mais comment faisait-on avant pour évaluer la durée de vie des individus ?!
Cette question, a priori tout à fait censée pour notre époque, n’est peut-être pas aussi fondée qu’on peut le penser. Car encore faudrait-il se demander si nos ancêtres avaient réellement besoin de mesurer la durée de vie exacte de leurs congénères ! Chaque culture produit ses propres outils selon ses besoins sociaux et environnementaux. Et si l’âge est un instrument utile pour une société de la mesure aussi cartésienne que la nôtre aujourd’hui, cela n’en fait pas pour autant une donnée universelle. Sa valeur est donc toute relative.
L’ÂGE BIOLOGIQUE EST UN CRITÈRE IMPARFAIT POUR MESURER LE VIEILLIR !
Il y a certes l’âge de nos artères, mais il y aussi l’âge subjectif, celui qu’on ressent. Et puis, deux individus avec la même durée de vie ne vieilliront pas au même rythme pour un tas de facteurs, génétiques, mais aussi et surtout environnementaux et comportementaux.
Ainsi, le découpage de la vie par tranches d’âge, tel que nous le concevons actuellement, ne se retrouve pas forcément dans les sociétés anciennes. “Nos ancêtres ignoraient le nombre de leurs années et le découpage de la vie se faisait en fonction des événements et des changements qui jalonnaient le cours de l’existence” précise Bernadette Puijalon [2].
Sans aller aussi loin dans l’histoire, une étude menée dans 60 pays révélait que le “changement de rôle social” était le premier critère de définition de la vieillesse commun aux différentes cultures étudiées. Cet indicateur apparaissait de loin le plus important devant la “chronologie” et le “changement des capacités physiques” [3]. Il existe ainsi certains événements dans la vie qui nous identifient comme socialement vieux. C’est le cas du passage à la retraite qui constitue chez nous un changement de rôle majeur et particulièrement marquant dans la définition du vieillir [4].
Le changement de rôle et de statut social semble également important au niveau de la prise de conscience de son propre vieillissement. C’est en effet ce que montre l’étude Oui Care (2019) qui s’est intéressée à la perception de vieillir chez les baby-boomers et leurs enfants, et aux événements qui au cours de la vie pouvaient générer ce sentiment [5].
CES ÉVÉNEMENTS DE VIE QUI FONT PRENDRE UN COUP DE VIEUX !
Prendre conscience de son propre vieillissement, c’est réaliser l’éphémère de la vie d’une certaine manière. Rien de surprenant alors à ce que le décès d’un proche ou d’une personne de son entourage soit le premier élément déclencheur dans la prise de conscience que l’on va vieillir.
Mais si la confrontation à la mort nous renvoie souvent en pleine face la réalité du vivant, à savoir que nous sommes tous voués à disparaître, d’autres événements semblent avoir un effet similaire en rendant plus saillant notre inscription dans une temporalité limitée. Il s’agit de grandes transitions familiales, comme le départ des enfants du domicile ou le passage à la retraite des parents.
La mise en miroir de ces deux événements, rapportés par des individus d’âges différents, est assez frappante. Enfants et parents perçoivent leur vieillissement les uns en fonction des autres.
Le départ des enfants du domicile est un moment fort symboliquement pour tous les membres de la famille. C’est la fin d’une époque et le début d’une nouvelle tranche de vie. Mais il a aussi des implications concrètes sur l’organisation et le quotidien des parents qui bien souvent doivent réapprendre à vivre à deux. Cela fait d’ailleurs partie des moments rupteurs dans la vie d’un couple, comme l’est également le passage à la retraite [Lire à ce sujet l’article Silver Alliance “Quand la retraite fait crise, menaces sur le couple !”]. L’identité même du parent peut s’en trouver bousculée notamment quand le rôle de mère ou de père constituait un élément central de définition de soi.
Le passage à la retraite de ses propres parents est, quant à lui, un événement moins impactant pour le quotidien des enfants. Sur le plan symbolique, en revanche, c’est un événement chargé de sens. Le départ en retraite des parents marque, en effet, un moment charnière dans le processus de vieillissement. Et la perception de l’avancée en âge de ses parents peut renvoyer en retour aux enfants un écho de leur propre vieillissement.
Si le vieillissement est un processus long et inéluctable, la prise de conscience de son propre vieillissement vient plutôt par soubresauts. On ne se sent pas vieillir, on le réalise à certaines occasions. L’étude Oui Care montre ainsi que les grandes transitions familiales jouent un rôle important dans cette prise de conscience. Mais plus encore, ce qui semble jouer le rôle de déclencheur, c’est la perception que quelque chose est définitivement fini. La fin d’un cycle qui nous rappelle les termes de la temporalité humaine…
👉 Tous les résultats de l’étude Oui Care (2019)
[1] Anne-Marie Peatrik, In Retraite et société, n°34, 2001
[3] Il s’agit des travaux de Glascock et Feinman (1980) cité par Frédéric Balard (2013). « “Bien vieillir” et “faire bonne vieillesse”. Perspective anthropologique et paroles de centenaires ». Recherches sociologiques et anthropologiques, 44-1 : 75-95.
[4] Comme le fait remarquer Georges Minois dans son ouvrage Histoire de la vieillesse. De l’Antiquité à la renaissance (1987), il aura fallu attendre la création d’un système légal d’âge de départ à la retraite pour que la vieillesse soit effectivement reconnue comme telle dans les textes. Encore une fois, on voit que la notion de vieillesse est une construction culturelle qui répond aux besoins d’une société donnée.