Un groupe engagé
SANS FER À SOUDER, ON NE SOUDE PAS ! Handicap et Autodétermination
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« Ils ont voulu intégrer du texte en braille dans les affiches pour faire plus inclusif. Le problème, c’est qu’ils ont grossi les lettres en braille pour les adapter au format des affiches. S’ils nous avaient consultés, on aurait pu leur expliquer que ce n’était pas adapté à la lecture braille… »
Cette anecdote a été saisie sur le vif d’une conversation lors de la journée participative consacrée à l’autodétermination le 16 juin dernier dans les locaux du groupe Oui Care au Mans [1]. Pour Florie-Anne Gardy, organisatrice de cette journée et référente handicap et habitat inclusif chez Nous-Mêmes, cette anecdote illustre malheureusement assez bien tout l’enjeu du mouvement pour le droit à l’autodétermination des personnes en situation de handicap.
Tout ce que tu fais pour moi sans moi, tu le fais contre moi !
Jusqu’à peu encore, on considérait qu’il existait deux catégories d’individus, des personnes fragiles et vulnérables qu’il fallait protéger, et les autres qui se devaient d’être traités comme des agents autonomes. Dans la première catégorie s’étendait tous les êtres faibles ou jugés inférieurs en capacités, donc en droits. Beaucoup de lignes ont bougé tout au long du 20ème siècle et il est toujours bon de rappeler qu’il y a encore très peu de temps les femmes figuraient dans la catégorie des fragiles passant de l’autorité du père à celle du mari. Le 21ème siècle a vu s’ouvrir en France une brèche dans ce qui restait peut-être le dernier contrefort de la logique paternaliste de protection des plus faibles frappés d’incapacités : le champ du handicap.
16 juin 2023 : Journée participative Handicap - Autodétermination
Parce que l’interconnaissance de tous les acteurs du médico-social sur un territoire participe à l’amélioration des parcours de vie des personnes accompagnées, le Groupe Oui Care a voulu créer une occasion de rencontres autour d’un sujet au combien important : l’autodétermination des personnes en situation de handicap.
Étaient ainsi réunis ce vendredi 16 juin des personnes dont les déficiences ou les incapacités impliquent qu’elles soient accompagnées sur certains aspects de leur vie, des professionnels du secteur social et médico-social, mais aussi des familles et des élus. En tout, une centaine de personnes ont pu échanger, écouter et participer à des ateliers mettant ainsi en lumière différentes expressions possibles de l’autodétermination.
L’autodétermination : une revendication
Historiquement, l’autodétermination renvoie à la revendication de groupes sociaux à s’émanciper de rapports de domination et d’oppression. S’émanciper du joug colonial, sortir d’un régime de ségrégation systématique, parfois à la force des armes, mais surtout à la force de la conviction qu’on peut le faire, qu’on en est capable.
Cette revendication, nous avons pu l’entendre dans la bouche de Romain Thierry le 16 juin dernier [2]. Revenant sur son parcours pour pouvoir vivre dans un logement personnel, Romain Thierry explique avoir dû faire preuve d’une volonté de fer et de beaucoup de persuasion pour faire face à tous ces “tu ne peux pas” qu’on lui assénait au début. Prouver aux autres qu’il en était capable malgré ses incapacités motrices, leur expliquer qu’il existe des moyens de compensation sur lesquels s’appuyer : telle a été son expérience de combattant à l’autodétermination. Faire preuve de persévérance et de caractère, avec le soutien de ses proches et des professionnels à ses côtés, ce sont-là des ressources indispensables pour faire face à la barrière des préjugés et des perceptions invalidantes.
Du caractère et de la confiance en soi, il en faut assurément, comme ce jeune homme qui raconte avoir quitté sa région natale, sa famille, ses repères pour intégrer un des rares ESAT [3] de France dans le domaine zoologique et vivre ainsi de sa passion pour les animaux.
Mais que se serait-il passé s’ils n’avaient pas eu, chacun, la conviction qu’ils en étaient capables ? Comment avoir une idée du type de vie qu’on veut personnellement mener si l’on se perçoit soi-même avant tout comme incapable ? Comment dans ce cas ne pas vivre sans influences extérieures exagérées et indues ?
L’autodétermination : un objectif d’accompagnement
Le travail des professionnels de l’accompagnement social et médico-social est en train de se transformer, en intégrant à leur mission de protection et de prise en charge, un objectif de développement de comportements autodéterminés. En réalité, ce n’est pas nouveau nouveau, mais le consensus qui l’entoure désormais en fait un nouveau référentiel métier. Il s’agit désormais de viser – non pas l’autodétermination en soi qui est un absolu impossible à atteindre pour tout à chacun – mais des comportements autodéterminés dans un domaine de compétence de la personne.
Cette posture implique pour le professionnel de sortir d’une lecture purement médicale de l’individu qui ne serait pas réduit à l’état de ses pathologies. Ne pas réduire la personne à ses déficiences, c’est ainsi s’autoriser à croire en d’autres possibles, ce qui suppose de poser sur elle un regard positif : regarder la personne plus joliment que ce que ses troubles ou ses déficiences n’invitent à voir en elle.
Croire en l’autre, être convaincu que chacun possède les ressources nécessaires à son développement personnel est un prérequis nécessaire au soutien à l’autodétermination. Car quand soi-même on n’envisage pas de vivre autrement que selon des règles et des modalités imposées par d’autres, le développement de comportements autodéterminés ne peut se faire sans un autre qui pose sur nous un regard positif.
L’autodétermination : un apprentissage
La plupart des choses que nous accomplissons au quotidien sont le fruit d’un apprentissage. On regarde les autres, on essaie de reproduire, on s’entraîne, on s’exerce et on développe des capacités nouvelles. C’est ainsi qu’on fait du vélo, en apprenant à tenir en équilibre, en s’exerçant et en prenant le risque de se faire mal.
Apprendre et développer ses ressources signifie qu’à un moment ou à un autre, on a saisi – ou on nous a donné (ou les deux à la fois) – des occasions d’apprentissages nouveaux.
Sans occasions d’expérimenter, notre terrain de jeu se restreint notablement, ce qui limite le développement de nouvelles compétences. Il en est de même en matière d’autonomie et d’autodétermination : cela s’apprend !
On ne naît pas autonome ni autodéterminé, pas plus qu’on ne le devient complètement, mais on apprend à développer les capacités et les ressources qui sous-tendent ce rapport à soi et au monde.
C’est ce que nous ont rappelé les participants à la journée Autodétermination du 16 juin dernier. Parmi les activités proposées figurait du théâtre-forum : pas de rôles de composition mais bien des scènes de vie vécues par des personnes dont les troubles sont largement incompris, soit minorés, soit au contraire diabolisés. Ces mises en scène sont un moyen, à la fois, d’exprimer un vécu douloureux et de prendre de la distance par rapport à son propre comportement et celui des autres. Comment puis-je agir sur mon environnement pour modifier le rapport des autres à ma personne et à mes troubles ? La réponse à cette question, ce sont autant de ressources personnelles que l’on développe dans l’altérité, grâce à un espace relationnel fait de confiance et de respect où chacun expérimente des possibles alternatifs.
Trop souvent, l’aidant se positionne en sauveur ou protecteur en apportant lui-même les solutions au problème ou en faisant à la place de la personne qu’il juge démunie. Ce type de posture s’avère souvent un piège pour les deux parties comme en témoignent les témoignages relevés ci et là :
- “Nous on accepte parce que c’est fait de bon coeur” ;
- “Après on se laisse faire et ensuite on nous crie dessus parce qu’on ne fait rien”;
- “Alors que quand je demande, elle me dit non parce que je suis trop lente”…
Protecteur ou inquisiteur, la frontière est vite franchie !
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Oh le pauvre ! : c’est le regard bienveillant que l’on avait coutume de poser sur les personnes vivant avec des déficiences et des incapacités perceptibles aux autres. Ce regard bienveillant est désormais en pleine mutation et nécessite encore de poursuivre sa métamorphose vers le respect du droit à l’autodétermination. Ainsi, la convention de l’ONU sur les droits des personnes handicapées, ratifiée par la France en 2010, note-t-elle dans son article 12 l’impératif de rompre avec la logique de prise de décision substituée pour aller vers une logique de prise de décision accompagnée. Protéger sans diminuer, sans contrevenir au respect de l’autonomie propre à une personne, mais aussi soutenir chez elle le développement de compétences lui permettant d’évoluer de manière de plus en plus autodéterminée, tels sont les nouveaux enjeux – ô combien complexes – qui sont les nôtres !