Les belles rencontres
Ne pas cesser d'apprendre pour comprendre et entreprendre… au moins sa vie
Temps de lecture : 4 minutes 20 secondes
« Bien vieillir était la préoccupation de mes parents pour 10 années de retraite au mieux, 65,75 ans. Ma préoccupation est de bien vieillir pour 40 ans, 60, 100 ans et plus. C’est une loi “bien vieillir longtemps en bonne santé et ensemble” que ma génération a négligée ».
Pierre Caro est, comme il aime à se présenter, un retraité professionnel, chercheur autodidacte en long vieillissement. Un sujet qu’il connaît bien pour le vivre de l’intérieur. Mais, aussi, un sujet qu’il a choisi d’approcher “professionnellement” avec des outils conceptuels et scientifiques, indispensables selon lui pour poursuivre sa vie citoyenne dans une société de plus en plus complexe et compliquée. Ces investigations, comme ses acquis d’expériences à la retraite, il les partage autant que faire se peut, que ce soit via sa chaîne YouTube ou en participant bénévolement à des groupes de travail. Sa ligne directrice : « dire combien il est essentiel d’anticiper le long temps de vieillissement… de se préparer avant d’être octogénaire…».
Pierre Caro nous livre ici son analyse des enjeux du long vieillir, avec toujours en trame de fond, cette urgence du récit de soi qui apporte à son témoignage toute l’intensité de l’être face au temps.
Sois Prêt
Il m’est difficile de raconter à mes petits-enfants, d’ici quelques années à mes arrière- petits-enfants, que mon premier noël a été une orange… un fruit que je découvrais. Il m’est impossible de leur montrer une suite d’évolutions des sciences, des techniques, technologies, et leur faire comprendre qu’ils doivent envisager leur devenir continuellement bouleversé par les recherches de nouveaux progrès, avec leurs avantages et leurs inconvénients.
Leur dire de demeurer « professionnel à vie », un choix qui leur permettra de partager « ce qui se sépare, ce qui fait part, ce qui rassemble » [1] leurs opinions, sentiments, projets de vie, en anticipant ce long temps de vie qu’ils devront construire chaque jour.
Bien entendu, et c’est ainsi que je l’ai appris, demeurer professionnel tout au long d’un long temps de retraite et de vieillissement s’impose pour ne pas être « jeté » dans les vieux qui ne comprennent pas… pour le moins : plus !
Je dois entretenir, développer autant que je le peux, mes moyens et capacités à penser, à donner du sens à la construction du monde demain, entre et avec quatre, cinq générations.
Comme tout au long de ma vie, mon premier « outil » utile, nécessaire, indispensable, a été l’éducation et la formation. J’ai eu la chance de connaître les mouvements de jeunesse, le scoutisme et la devise « Sois Prêt » des initiales de Baden Powell BP : Be Prepared. Ce fut mon Ecole d’apprentissage du vivre ensemble dès le plus jeune âge.
J’ai marqué ma volonté à demeurer professionnel en consacrant mes trois premières années de retraite comme temps d’apprentissage, à l’Université de Nantes, pour un DU Santé, suivi d’un DU Droits éthique et société. J’avais titré mes deux mémoires identiquement « Le rôle et la place possibles du retraité dans la société »… J’en ai fait les bases de ma nouvelle profession : chercheur autodidacte.
Je me suis donné une spécialité : « réflexions et actions sur les conséquences d’un long temps de retraite et vieillissement dans une société mondiale où nous sommes toujours plus nombreux et plus âgés ».
Correspondances professionnelles :
[Cayado] Si les gens savaient combien vieillir longtemps nécessitait d’énergie et de force d’adaptation. Vieillir, c’est se métamorphoser, disait l’anthropologue Bernadette Puijalon. C’est devoir faire face aux changements multiples, physiques, sociaux, psychologiques, aux transitions, ruptures de vie. [2]
[Caro] Je suis en accord, mais j’ajouterais l’importance d’anticiper les changements du corps, de l’esprit, des environnements…. afin de mieux les comprendre, en maîtriser ce qui peut l’être. Bien souvent les personnes les plus en difficulté sont celles qui n’ont pas « envisagé » de vieillir…, ce que je développe dans « apprendre à bien vieillir longtemps en bonne santé, autonome et responsable de nos engagements ».
Le long temps de vieillissement possible, un projet de vie nécessaire !
Quatre années d’apprentissage au lycée technique, quarante années de carrière dans différents secteurs d’activités et professions : en 1997, je fais valoir mes droits à retraite et me promets quarante années heureuses, avant d’être, peut être, vieux.
Aujourd’hui, il me reste 13 ans pour réussir… ce projet[3].
Entrer en situation de retraite a été pour moi cette ouverture vers une liberté qui n’obligeait que moi. Demeurer responsable, créatif, constructeur de mon devenir pour mes dernières décennies de vie.
Passé 85 ans, je suis en bonne santé, autonome, responsable de mes engagements. Je continue ma vie dans un équilibre harmonieux entre ma famille et mes amis ; mes repos et loisirs ; mon travail. Ce dernier est important, je l’ai choisi, appris, compris et je l’entreprends comme acte de vie.
Aujourd’hui, engagé auprès de quelques organisations associatives, je partage savoirs, expériences, compétences, échecs… ce sont de bons enseignements, et projets. Je participe à quelques formations, aux colloques, rencontres qui me sont ouvertes.
Je suis engagé dans plusieurs organisations, pour partager, telles Old Up Paris « plus si jeunes mais pas si vieux » ; La Fabrique Spinoza, le mouvement du bonheur citoyen ; le CnaV demain, Conseil National autoproclamé de la Vieillesse ; la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme ; Compte Carbone, Osons les territoires, l’école demain, le Collège International des Seniors ; ONU Femmes…
Je veux conserver, le plus longtemps possible, mes capacités et moyens pour choisir de mener ma vie dans cette société complexe et compliquée, dans des environnements choisis ou contraints.
Je sais, après vingt sept années de retraite, que les relations humaines, le projet de vie personnel et professionnel, … constituent le meilleur vaccin contre un vieillissement trop rapide.
De ces vingt-sept années de retraite, j’ai appris la nécessité, l’obligation, d’anticiper les évolutions de ma santé, de mes relations, dans le projet pour lequel j’ai pris un temps d’apprentissage. Ce projet que je veux mener en comprenant, autant qu’il m’est possible, les politiques humaines, sociales, sociétales développées dans les progrès des sciences, technologies, techniques, numériques… .
Vivre c’est, pour moi, participer à la vie de la société, de mon territoire aux régions plus éloignées. « C’est bousculer des évidences pour esquisser des possibles dont chacun doit s’emparer » comme me l’a appris dans Savoirs Émergents, mon regretté ami André Giordan [4].
Jeunes et futurs retraités et retraitées, entreprenez ces décennies en construisant le monde que vous souhaitez partager entre et avec quatre, voire cinq générations.
J’ai “abandonné” la bicyclette
Je vieillis, c’est normal… !
Ce qui est « normal », et qui en résulte, c’est ma perte de confiance face à ma sécurité.
J’ai « abandonné » la bicyclette voici quelques années par peur. J’ai roulé en deux roues, de mes bicyclettes à quelques gros cubes, en partageant les routes sans souci, ni accident de 12 à 80 ans pour faire rapide. J’ai pris peur par des incivilités, les manques de respect au code de la route qui font que je ne me sentais plus la « souplesse » d’esquisser un rétablissement d’équilibre face à une possible chute.
Le père Noël, qui a compris ma privation, m’a offert un tricycle.
S’il faut rouler pour garder l’équilibre sur une bicyclette, sur mon tricycle je stationne sans mettre pied à terre. « Fastoche » comme disent mes arrière-petits-enfants. Erreur. J’ai rapidement compris qu’il me fallait apprendre à conduire cet engin. Si je me penchais pour diriger mon deux roues, je dois me tenir à la verticale pour conserver mon équilibre sur trois roues. Ce n’est pas évident.
Il n’y a pas d’âge pour apprendre, je me suis imposé plusieurs heures de pratique avant de prendre la route pour quelques kilomètres dans ma commune.
Me mettre en condition pour bien vieillir longtemps, c’est continuer à me lancer quelques défis. Je voudrais apprendre à jouer du saxophone, à jouer aux échecs.
Mais je dois me réserver quelques heures pour ma seconde carrière de retraité professionnel, 2000-2040, et me ménager un temps de loisirs et de repos. Finalement, les jours, les mois, les années… ne sont pas assez longs.
J’accepte de m’adapter à mon vieillissement, sans que celui-ci s’oppose à mes envies de vie.
C’est peut être cela, aussi, ma lutte contre l’âgisme ?
Qu’en pensez vous ?
Pierre Caro
Retraité professionnel, chercheur autodidacte, artisan du bien vieillir longtemps
Demeurant à disposition pour échanger sur les enjeux du long temps de retraite et vieillissement
- Partager est un mot qui dit à la fois le tout et son contraire, ces parts ayant vocation à être partagées, une vertu qui élève l’humanité.
- Véronique Cayado, Lab Autonomia
- But que l'on se propose d'atteindre (Dictionnaire Larousse)
- Savoirs Émergents. Quels savoirs pour aujourd’hui André Giordan, Claire Héber-Suffrin. Editions Ovadia 2008.