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Bouger les lignes

Petite histoire de politique vieillesse

Temps de lecture : 9 minutes 10 secondes

Les enjeux démographiques liés au vieillissement de la population sont connus depuis longtemps. La prise de conscience sociétale est, quant-à-elle, beaucoup plus récente. Il faut dire que l’intervention publique en matière de politique vieillesse n’est pas aussi ancienne que l’on pourrait le croire.

Petit (long !) retour sur plus de 50 ans de politique vieillesse.

L’action publique à destination des personnes âgées est une pratique sociale relativement récente dans l’histoire de la société française. Par le passé, la prise en charge des vieillards relevait généralement de la sphère privée et familiale, et dans une moindre mesure du réseau traditionnel d’assistance à la pauvreté. Puis, avec l’avènement de la société industrielle, le développement du salariat, l’exode rural, l’arrivée des femmes sur le marché du travail…, les modes d’organisation de la famille vont profondément évoluer. Dans la continuité de ces changements, on assiste peu à peu, au fil de l’histoire récente, à une diversification des modes d’aide et de prise en charge des personnes âgées, avec notamment la montée en puissance de l’action publique.

Si la prise en charge de la vieillesse ne devient plus seulement une affaire privée, notons toutefois que la famille continue à jouer un rôle crucial dans l’assistance apportée aux plus âgés. L’aide de l’entourage reste actuellement encore bien supérieure à celle des professionnels [1].

Comme l’ensemble des politiques sociales, les politiques à destination de la population âgée se développent à partir du milieu du XXe siècle avec, d’abord, la structuration de l’assurance vieillesse, puis plus tard, d’un système d’assistance et d’action sociale spécifique.

La famille : un lieu naturel de solidarité entre générations ?

Si la solidarité familiale apparaît tout à fait élémentaire et naturelle, c’est qu’il s’agit d’un mode d’organisation profondément ancré dans l’histoire. Elle repose sur des normes morales puissantes, issues de nos traditions judéo-chrétiennes. Ainsi, il existerait une forme d’obligations morales d’assistance à ses ascendants, liées notamment à la notion de dette contractée par les enfants à l’égard de leurs parents pendant la prime jeunesse [2]. Néanmoins, pour Catherine Gucher, les enjeux de transmission de patrimoine, comme l’absence de l’action publique, expliqueraient tout autant que les normes morales “la longue histoire de la dépendance des vieillards à l’égard de leurs descendants” [3].

NAISSANCE DE LA POLITIQUE VIEILLESSE AVEC LE RAPPORT LAROQUE EN 1962

Le rapport Laroque (1962) de la Commission d’études des problèmes de la vieillesse constitue un véritable cri d’alerte sur la situation particulièrement précaire d’un grand nombre de personnes âgées en France. Pauvreté, mal logement, isolement : les personnes âgées apparaissent comme les oubliés de la croissance économique et de la protection sociale.

La figure du “troisième âge”

Considéré comme l’acte fondateur des politiques vieillesse en France, le rapport Laroque propose une approche plutôt “moderniste” de la vieillesse « conçue comme un « 3e âge actif, autonome et participant » » [4]. On assiste ainsi à l’émergence d’une nouvelle catégorie sociale, le troisième âge, vers qui il ne s’agit plus seulement de porter une politique des retraites, mais une politique des “modes de vie” [5] tant celle-ci induit une régulation des conduites individuelles.

Intégration sociale et maintien à domicile

La logique prônée par le rapport Laroque s’inscrit en porte-à-faux avec les pratiques antérieures d’assistance caritative aux pauvres et de relégation des vieillards dans les hospices et les asiles.

L’accent doit être mis en priorité sur la nécessité d’intégrer les personnes âgées dans la société, en leur fournissant les moyens de continuer, le plus longtemps possible, à mener une vie indépendante par la construction de logements adaptés, par la généralisation de l’aide-ménagère à domicile, par la création de services sociaux de toute nature qui leur sont nécessaire, par l’organisation de leur occupation et de leurs loisirs (Rapport Laroque, 1962 : 9) [5]

L’intégration dans la société et le maintien des personnes âgées dans leur environnement constituent les mots d’ordre de cette nouvelle politique vieillesse qui se met en place avec deux priorités essentielles :

  • la consolidation d’un véritable droit à pension avec la revalorisation des retraites et du minimum vieillesse permettant de sortir les personnes âgées de la misère dans laquelle vivaient nombre d’entre elles ;
  • le développement des services de “maintien au domicile” avec la création des services d’aide-ménagère (financement CNAV [6]), puis plus tard, de soins à domicile (financement Assurance maladie).

Des retombées qui se font attendre

Les préconisations relatives à l’intégration des plus âgés dans le milieu de vie peineront malgré tout à s’incarner rapidement. Il faudra attendre véritablement le VIème plan de 1971-1975 pour voir émerger des actions sanitaires et sociales coordonnées favorables au maintien à domicile (Rapport Questiaux, 1971). C’est à cette époque-là également que se structure le secteur social et médico-social avec la loi fondatrice du 30 juin 1975.

Cette volonté politique insufflée au début des années 1960 s’inscrit dans un contexte de forte croissance économique. Mais les chocs pétroliers qui marquent la fin des 30 glorieuses ouvrent un nouveau cycle en matière de politique vieillesse en France.

LE VIRAGE “DÉPENDANCE” DES ANNÉES 1980-1990

Nouvelle donne économique

Avec le ralentissement de la croissance s’invite dans le débat un nouvel enjeu, désormais incontournable, la maîtrise des dépenses de protection sociale. Ce n’est pas pour autant que l’on écarte le sujet des politiques vieillesse – 1981 voit en effet arriver le premier secrétariat d’Etat aux Personnes âgées – mais les moyens alloués restent limités.

Cette nouvelle ère économique qui voit se creuser le déficit des budgets sociaux a donc des répercussions importantes sur les soins et l’aide sociale à destination des personnes âgées.

Il en est de même des politiques de décentralisation amorcées avec la loi Defferre du 2 mars 1982 qui confient aux départements la responsabilité de l’action sociale et de l’aide sociale à destination des personnes âgées.

Nouvelle donne idéologique

Cette nouvelle ère budgétaire correspond également à l’enclenchement d’une nouvelle dynamique des politiques vieillesse, plus centrée cette fois sur la prise en charge de la dépendance. On s’éloigne ainsi de la gérontologie sociale prônée par le Rapport Laroque au profit d’une approche plus médicale de la vieillesse de plus en plus considérée sous l’angle des incapacités et de la dépendance. La vieillesse, appréhendée jusque-là via la figure du 3ème âge, est désormais considérée sous le jour de l’invalidité.

Depuis le début des années 1980, dans les pays occidentaux, la notion de dépendance est au cœur de l’action sociale à l’endroit des personnes âgées. (…) L’approche la plus fréquente consiste à évaluer les incapacités des personnes concernées à partir de grilles de mesure, à apprécier l’aide nécessaire et à en déterminer le coût, méthode gestionnaire qui stigmatise et marginalise ceux qui en sont l’objet (Bernadette Puijalon, 2003, p.167) [7].

Vers une diversification et libéralisation des modes de maintien à domicile

On continue de soutenir les dispositifs de maintien au domicile, mais cette fois en encourageant la diversification des modalités d’aide.

➥ On facilite l’emploi direct auprès des particuliers :

  • exonération de charges patronales et fiscales pour les personnes âgées de plus de 70 ans et création des services mandataires (1986) ;
  • création des chèques services qui deviendront les CESU (1993).

➥ On ouvre le secteur de l’aide à domicile aux entreprises à but lucratif sous condition d’agrément (1996).

La logique d’emploi s’invite ainsi dans les actions de politique vieillesse avec en trame de fond la volonté de libéralisation du secteur de l’aide à domicile.

La première allocation spécifique pour les personnes âgées dépendantes : la PSD

Il faudra attendre quasiment la fin des années 1990 pour que soit créée la première prestation assistancielle spécifique aux personnes âgées dépendantes. Financée par le département et soumise à conditions de ressources, la Prestation spécifique dépendance (PSD) ne rencontre pas le succès attendu car elle inclue une clause de récupération lors de la succession qui freine les destinataires potentiels.

Jusqu’à l’instauration de la PSD, c’est l’ACTP – Allocation compensatrice de tierce personne – qui faisait fonction de prestation d’aide sociale pour les personnes âgées dépendantes. Néanmoins, cet usage n’était pas celui prévu par la loi du 30 juin 1975 puisque l’ACTP était originellement destinée aux adultes de moins de 60 ans en situation de handicap ayant besoin de l’aide d’une tierce personne pour l’accomplissement des actes de la vie quotidienne.

Parallèlement à ce premier essai peu concluant, on voit apparaître des amorces d’actions qui caractériseront plus particulièrement les premières décennies du XXIe siècle, avec la mise en place de dispositifs de coordination gérontologique (réseaux de soins, puis de santé) et de dispositifs destinés à soulager les aidants informels (Centres de jours ou Structures d’accueil temporaire).

LES ANNÉES 2000 MARQUÉES PAR DES LOIS MAJEURES

Une nouvelle allocation spécifique pour les personnes âgées dépendantes : l’APA

Le début des années 2000 est marqué par une loi majeure en matière de politiques vieillesse, la loi du 20 juillet 2001, qui instaure une nouvelle prestation sociale spécifique aux personnes âgées dépendantes. L’Allocation personnalisée d’autonomie ou APA succède ainsi à la PSD.

Le choc de la canicule de 2003

La canicule de l’été 2003 génère une onde de choc chargée de culpabilité, si ce n’est de culpabilisation sociale, qui met en lumière la situation d’isolement et d’exclusion dans laquelle se trouvent un grand nombre de citoyens âgés. Les pouvoirs publics réagissent avec la loi du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées qui introduit 3 réformes :

  • la création de la CNSA [8],
  • la mise en place d’un plan d’alerte et d’urgence,
  • l’institution d’une journée de solidarité destinée à financer le renforcement des interventions en faveur de l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.

Affirmation d’un cadre déontologique

Deux autres lois sont également importantes concernant, cette fois, l’affirmation des droits liés à la perte d’autonomie :

  • la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale [9] permet d’encadrer davantage les pratiques et de renforcer les droits des usagers ;

La loi 2002-2 inscrit l’usager au centre des préoccupations des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS) [10]. Elle impose ainsi un certain nombre d’obligations visant à garantir ses droits, que cela soit en lien avec la mise en place d’outils internes (livret d’accueil, charte des droits et libertés…) ou de systèmes de contrôle externe (autorisation de création et de transformation, principe d’une évaluation continue, interne et externe…).

  • la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées promeut par là-même les droits des personnes âgées en situation perte d’autonomie.

Le rapprochement des politiques de la vieillesse et du handicap : Il est notable que les réformes ainsi engagées assimilent les enjeux liés à la perte d’autonomie des personnes âgées et ceux liés aux situations de handicap. Tout désavantage social associé à une incapacité mérite un traitement similaire quel que soit l’âge des personnes. Cette tendance se retrouve également dans l’ambition affichée de la loi 2002-2 d’homogénéiser les différents secteurs de l’action sociale et médico-sociale via un cadre déontologique et des pratiques professionnelles communément partagés.

Mille-feuille institutionnel

Les années 2000 se caractérisent, par ailleurs, par le renforcement de la coordination gérontologique, mais sans que cela soit élaboré de manière structurée. Aussi, voit-on apparaître de manière tout à fait différenciée selon les territoires des dispositifs dont les champs se recoupent plus ou moins (Clic, MAIA…). Cette situation renforce les inégalités territoriales en matière de politiques vieillesse.

2016 OU LE CHANGEMENT DE PARADIGME ?
POUR L’ADAPTATION DE LA SOCIÉTÉ AU VIEILLISSEMENT

La loi d’adaptation de la société au vieillissement

La loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, dite loi ASV, est le dernier grand acte en matière de politiques vieillesse.

➥ Elle porte avant tout une ambition très forte de prise de conscience nationale de l’imminence et de l’importance du vieillissement de la population en France. Loin d’être un sujet annexe qui pourrait être géré de manière indépendante des autres pans de la société, le vieillissement est au cœur des projets sociétaux et doit être intégré dans l’ensemble des politiques publiques.

L’adaptation de la société au vieillissement est un impératif national et une priorité de l’ensemble des politiques publiques de la Nation (Article 1 – Titre préliminaire) [11].

➥ Elle porte, également, un discours sur la vieillesse qui n’est plus seulement centré sur la perte d’autonomie. En cela, la loi ASV constitue une forme de retour aux sources du rapport Laroque qui préconisait en 1962 de mettre l’accent sur l’intégration sociale des personnes âgées via le logement adapté, les activités sociales et de loisir, etc.

Il apparaît de fait que le “tout médical” ne constitue pas une réponse suffisante au défi du vieillissement qui doit être appréhendé de manière plus globale : promotion de la prévention et de la participation sociale – lutte contre l’isolement – amélioration de l’habitat, etc.

Sur cette volonté de provoquer un électrochoc, ou du moins un réveil de la nation, la loi ASV a plutôt bien joué son rôle. En revanche, elle a également été déceptive dans le sens où les mesures et les moyens déployés ont pu être jugés insuffisants au regard des ambitions affichées.

Une multiplication des acteurs

Il faut dire que dans un contexte de stagnation économique et de réduction des déficits, les marges de manœuvre pour établir une politique vieillesse nationale qui porte fort les ambitions sociétales restent somme toute limitées – ouvrant ainsi la voie à de nouveaux acteurs.

De nouveaux espaces se dessinent mais sans qu’une voix ne s’impose encore clairement [12] entre des approches de marché, d’innovation technologique, de prévention de la santé ou encore d’inclusion sociale.

Une diversification des modes d’aide qui se poursuit : Avec l’apparition des politiques vieillesse au début des années 1960, a commencé à se mettre en place un premier mouvement d’externalisation et de professionnalisation de l’aide aux plus âgés – aide qui jusque là relevait essentiellement de la sphère privée et familiale. Cette tendance s’est depuis poursuivie, plus récemment, par un mouvement de diversification et de libéralisation du système d’assistance avec une logique de marché liée notamment à la perception de solvabilité des générations du baby-boom.

LE PROCHAIN ACTE 2021 2022 ?

Lancé avec la concertation nationale en octobre 2018 et maintes fois reporté, le projet de loi «Grand âge et autonomie» est désormais très attendu. Et il est d’autant plus attendu que le contexte institutionnel est en train d’évoluer avec la création d’un 5ème risque couvert par la sécurité sociale : le risque dépendance ou perte d’autonomie.
Question récurrente depuis le rapport Laroque, ce 5ème risque constitue un changement de cap majeur dans l’histoire des politiques vieillesse. En effet, là où le modèle assistanciel qui avait court jusqu’à maintenant prévoit le versement de prestations aux individus qui en ont besoin, le modèle assurantiel basé sur des cotisations individuelles prévoit, quant à lui, un versement aux individus qui se sont assurés contre un tel risque. Une logique de don/contre-don (pour reprendre le principe maussien) qui se fait pour soi-même, de soi à soi.

Notes

  1. Seules 19% des personnes âgées à domicile déclarent bénéficier de l’aide exclusive d’un professionnel ; alors qu’elles sont 34% à déclarer une aide mixe et 48% une aide exclusive de leur entourage personnel. In Etudes et Résultats, 2019, n°1103 https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/publications/etudes-et-resultats/article/un-senior-a-domicile-sur-cinq-aide-regulierement-pour-les-taches-du-quotidien
  2. Cette notion de dette contractée par les descendants et d’obligation morale à l’égard des ascendants n’est pas sans résonance avec l’approche maussienne du “don – contre don”. Selon ce modèle de réciprocité observé dans les sociétés dites archaïques, la triple obligation de donner-recevoir-rendre constitue le contrat fondateur du lien social.
  3. Gucher, C., Des fondements aux enjeux contemporains des politiques publiques du handicap et de la vieillesse : divergences et convergences. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00371318/document
  4. Grand, A. (2016). “Du rapport Laroque à la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement en France”. Vie sociale, 15(3), p.16.
  5. Cité par Alvarez, S. (2014). Prévention et vieillissement : l’expérience individuelle face à la norme contemporaine du “bien vieillir”. Thèse NR Sociologie, Université de Grenoble, p.74.
  6. Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse.
  7. Puijalon, B. (2003). “Éric Gagnon, Francine Saillant et al., De la dépendance et de l’accompagnement. Soins à domicile et liens sociaux”. L’Homme, 167-168 http://lhomme.revues.org/19522
  8. Caisse Nationale de Solidarité Autonomie
  9. La loi 2002-2, inscrite dans le Code de l’action sociale et des familles (CASF), rénove la loi du 30 juin 1975 6 relative aux institutions sociales et médico-sociales.
  10. Les services prestataires d’aide à domicile font quant à eux figure d’exception car ils peuvent relever, soit de l’autorisation de création et de l’ensemble des dispositions de la loi 2002-2, soit d’un agrément qualité et de quelques dispositions de la loi. Cette exception a depuis été remise en question avec la loi d’Adaptation de la société au vieillissement, dite loi ASV.
  11. Loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement (1) https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=1857D5D46D7BC79D7A6D475F20B5760E.tplgfr21s_2?idSectionTA=JORFSCTA000031700751&cidTexte=JORFTEXT000031700731&dateTexte=29990101#LEGISCTA000031706283
  12. Argoud, D. (2016). “Nouveaux acteurs, nouveaux enjeux : quel avenir pour l’action sociale vieillesse ?”. Vie sociale, 15(3) : 101-115.