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Bouger les lignes

Vieillir chez les grecs

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Vieillir ailleurs…

L’empreinte de la Grèce Antique sur les représentations sociales actuelles de la vieillesse.

La Grèce Antique, mère des sociétés occidentales, n’était pas toujours tendre avec ses vieux. Et par rudesse, ce ne sont pas tant les conduites individuelles qui sont en cause, mais bien une nouvelle manière de considérer la vieillesse comme une vilenie des plus abjectes.

La Grèce Antique pose ainsi les bases du système de pensées et de représentations occidental. Ce que l’on regarde avec l’évidence du naturel s’origine bien souvent dans une histoire complexe. C’est le cas de la vieillesse mal aimée, car trop souvent considérée sous l’angle de la dégradation, de l’obsolescence et de l’inutilité.

LA FAUTE À ARISTOTE ?!

L’histoire des sociétés occidentales témoigne d’une fluctuation des représentations sociales de la vieillesse avec un ancrage plus ou moins positif. Néanmoins, la tendance dominante que l’on retrouve de manière cyclique au fil des siècles est celle de la dépréciation de « la vieillesse conspuée comme abjecte et méprisable » [1].

Cette dépréciation de la vieillesse au profit de la jeunesse n’est donc pas le propre de nos sociétés modernes avec la culture de l’éphémère, de l’instantané et du « vite obsolète », où ce qui est passé n’a plus sa place : s’adapter rapidement, innover ou disparaître, tel est le destin des productions humaines ; de là à parler des humains eux-mêmes, il n’y a qu’un pas…

Il est une société que l’on dit mère des civilisations occidentales où l’on retrouve des germes de cette pensée, c’est la Grèce Antique.

C’est à cette époque que l’on assiste à un glissement sémantique où l’on passe du modèle du vieillard idéal de Platon, pour qui l’affaiblissement des sens se fait au profit de la montée en puissance des qualités spirituelles, au regard extrêmement sévère d’Aristote sur la décrépitude du corps et de l’esprit qui accompagne la vieillesse.

S’AFFRANCHIR DES DOGMES ET REMETTRE EN QUESTION L’EXISTANT : LE RENVERSEMENT PHILOSOPHIQUE INITIÉ PAR LA GRÈCE ANTIQUE

Avec le développement d’une urbanisation marchande qui prend le pas sur le féodalisme apparaît dans l’Antiquité une nouvelle forme d’organisation sociale, les cités-Etat. Ces cités-Etat, très disparates par leur taille, leur religion et leur mode de gouvernance [2], avaient en commun une nouvelle manière d’appréhender le monde : s’affranchir des dogmes, notamment religieux, et remettre en question l’existant, caractérisaient ainsi ce nouveau rapport au monde. C’est l’intellectualisation de la rationalité qui cimente aujourd’hui encore la culture occidentale.

Les connaissances acquises individuellement supplantent alors les connaissances traditionnelles collectives transmises par les anciens [3]. On assiste ainsi, dès le VIème siècle av. J.-C, à l’affaiblissement du pouvoir des anciens et à une remise en question du règne de la tradition et du mythe, au profit de la valorisation de l’éducation.

Ce n’est plus l’âge mais l’éducation qui devient la valeur clé. (Rosenmayr, 2001, p.16) [3]

Pour Leopold Rosenmayr, spécialiste de la gérontologie sociale, cette culture postule – tout comme le judaïsme – que « tout ordre basé sur une autorité traditionnelle (celle des anciens) peut-être renversé en faveur d’un renouvellement. Tout est réversible, tout peut être décidé d’une manière nouvelle à cause de la suprématie intellectuelle ou spirituelle » (p.23) [3].

Cette pensée, qui vient donc ébranler le principe d’autorité fondée sur l’ancienneté, participe de l’imaginaire profondément critique et négatif à l’égard de la vieillesse qui domine les arts et la littérature de cette époque.

La vieillesse odieuse, débile, inabordable, sans amis et qui rassemble en elle tous les maux. (Sophocle) [4]

Il n’est d’ailleurs pas anodin que l’esthétique du corps jeune soit à ce point magnifiée et sublimée dans la Grèce Antique. Ce culte du jeunisme tant physique que mental témoigne du renversement idéologique qui est en train de se produire dans le rapport aux anciens et aux traditions.

La Grèce Antique pose ainsi les bases des représentations sociales actuelles, d’où s’origine la dépréciation généralisée de la vieillesse dans le monde contemporain. Connaître les origines de sa pensée est extrêmement riche car cela permet de s’en distancier pour mieux réinventer l’avenir ! Car si nous sommes collectivement le produit de notre histoire commune, nous sommes aussi collectivement capables de changements. Alors ensemble agissons pour changer le regard sur la vieillesse !

Véronique Cayado Institut Oui Care

  1. acqueline Trincaz. «Personnes âgées : quelles représentations sociales ? Hier et aujourd’hui». Communications, p.467. http://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/6807/?sequence=9
  2. Le mode démocratique et la condition de citoyen si emblématiques de l’Antiquité grecque étaient en fait caractéristiques de la Cité-État d’Athènes, mais non généralisables à l’ensemble de la Grèce Antique.
  3. Rosenmayr, L. (2001). « L’image de la vieillesse à la naissance de l’Europe ». Retraite et société, 34(3) : 11-27.
  4. Sophocle cité par G. Minois, Histoire du rire et de la dérision, Librairie Arthème Fayard, 2000, p.41