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Bien chez soi

Pourquoi parler de “care” pour désigner les métiers du “prendre soin” ?

Temps de lecture : 4 minutes

Familier des milieux médicaux et paramédicaux où il s’emploie en comparaison à la notion de “cure”, le terme “care” prend désormais assise dans la langue française, notamment à la faveur des crises qui secouent les sociétés humaines depuis l’apparition du virus de la Covid-19.

Alors que des pans entiers de production et d’activités humaines se mettaient subitement à l’arrêt avec la mise en place du confinement, on découvrait combien tant d’autres ne pouvaient tout simplement pas se mettre en pause sans risque majeur pour l’équilibre sociétal. Pour Sandra Laugier [1], ce contexte a mis sur le devant de la scène tous les métiers du “care”, et par tous, elle entend aussi bien les métiers du soin (aide-soignant, infirmier, médecin) que les métiers indispensables à la vie quotidienne (caissiers, éboueurs). C’est donc un “care” de la diversité que nous dresse Laugier en lien avec son approche socio-philosophique de ce qu’on appelle désormais “l’éthique du care”.

En quelques lignes, on voit se dessiner toute la complexité que contient ce petit mot de “care”. Car effectivement, bien que les évocations fleurissent ça et là, c’est un mot encore mal connu du grand public. Il faut dire que c’est un anglicisme, un de plus me direz-vous, mais nous allons voir que cet emprunt à la langue anglaise se justifie aussi par la palette des significations qu’il contient à lui-seul.

Un anglicisme aux significations difficilement traductibles en un mot

Il n’existe pas véritablement d’équivalent français au mot “care” tant celui-ci revêt une signification riche et complexe. Autrement dit, quand on parle du “care”, on désigne toute une palette de choses qui correspondent à des mots différents dans la langue française. Manifester de la sollicitude, le souci de l’autre, prendre soin, donner de l’attention, attacher de l’importance à la personne : chacune de ces acceptions prises individuellement ne donne à voir qu’une partie de la notion de care.

La notion de care a cela également de complexe qu’elle peut renvoyer aussi bien à l’idée d’une inclinaison personnelle, autrement dit une disposition ou une aptitude, qu’à l’idée d’une activité ou d’une pratique sociale orientée vers le soin et le soutien social. Entre ces deux facettes, comme un trait d’union qui se déploie entre elles, se trouve une approche éthique et déontologique dans la manière de considérer autrui et de rentrer en relation avec lui.

Cette posture éthique du “care” est finalement ce qui caractériserait le mieux le “care” car, comme nous le verrons plus loin, on peut très bien exercer un métier du soin ou du capital social sans faire de “care”. On peut très bien également prêter attention au problème de son voisin sans l’intégrer véritablement dans la recherche de solution, autrement dit sans chercher à le rendre “capacitaire”, et en cela aussi nos actions ne relèvent pas véritablement du “care”.

“Cure” et “care”, deux concepts bien connus du monde médical et paramédical

En anglais, il existe deux termes pour parler des soins prodigués à autrui, deux natures de soins différentes pourrait-on dire, dont il n’existe pas d’équivalents dans la langue française.

Le “cure” renvoie au curatif, autrement dit aux soins médicaux tels que nous l’entendons en général, c’est-à-dire, des soins de réparation ou de traitement de la maladie. C’est en tout cas l’approche médicale dominante en France et dans les cultures occidentales. Jean-Claude Ameisen évoque des chiffres plus que contrastés concernant l’emploi des fonds de santé en France : 95% seraient dévolus aux actes visant à “réparer des dégâts » de santé, contre 5% seulement au fait de protéger la santé des individus [2].

Employé en comparaison au “cure”, le “care” renvoie aux soins non “techniques”, aux soins du quotidien, ceux qui permettent au bébé, puis à l’enfant de vivre et de se développer ; ceux qui compensent la baisse des capacités passagères ou un état de fragilité plus permanent chez l’adulte. Les soins du “care” sont élémentaires dans le sens où ils répondent aux besoins vitaux de chaque individu, soins d’entretien, de sécurité, affectifs, psycho-sociaux… Tellement élémentaires qu’ils passent inaperçus quand nous nous les délivrons à nous-même. Du moins quand nous avons l’impression de nous suffire à nous même ! Mais quand cela n’est plus le cas, c’est alors que nous voyons l’importance jouée par les personnes qui viennent à notre chevet nous apporter tous ces soins du quotidien.

Les métiers du “care” désignent ainsi plus communément le travail des auxiliaires de vie, des aides à domicile, des aides soignants, dont les fonctions sont justement de répondre à ces besoins élémentaires quotidiens.

Cette présentation presque duelle entre “cure” et “care” a, certes, l’avantage de permettre de bien cerner les espaces des uns et des autres, mais elle est en réalité très appauvrie par la caricature qu’elle impose. Il n’y a pas, d’un côté, les pourvoyeurs du “care” et, de l’autre, les techniciens du “cure”.

Le care, une manière d’être en relation qui transcende les différents métiers du soin

En pratique, comme l’explique Marie Garrau [3], la frontière entre “cure” et “care” est plus difficile à faire. La première raison à cela est que le “care” possède en lui-même une dimension thérapeutique. Autrement dit, le care peut aussi guérir. C’est cette idée que l’on retrouve également dans les propos de Jean-Claude Ameinsen lorsqu’il dit que “la médecine narrative a un pouvoir thérapeutique en elle-même” [2]. La seconde raison avancée par la philosophe est qu’on assiste à des mouvements médicaux visant à repenser le cure comme un moment du care. Bien sûr certaines spécialités médicales très axées sur la mise en œuvre d’une technicité et d’un savoir scientifique – on peut penser à la chirurgie – peuvent facilement s’affranchir de l’attention à l’autre en tant que globalité et ne considérer le patient qu’à travers une pathologie d’un corps humain. Mais en intégrant des notions comme celle de parcours de soin, on repositionne le soin technique dans une démarche plus globale d’accompagnement au soin.

De la même manière, il ne suffit pas d’exercer un métier dit du “care” pour répondre véritablement de cette approche. Je l’évoquais en introduction, mais effectivement aider une personne vulnérable sans chercher à la rendre capacitaire, sans être à l’écoute de ses choix, sans tenir compte de ses aptitudes et de ses habitudes, autrement dit sans respecter véritablement ce qu’elle est, cela n’est pas véritablement prendre soin de l’autre. Une citation que l’on attribue tantôt à Gandhi, tantôt à Mandela illustre bien ce propos, elle dit ceci : “ce que tu fais pour moi, sans moi, tu le fais contre moi”.

Par ailleurs, en imaginant une auxiliaire de vie qui interviendrait auprès de Monique âgée de 83 ans pour réaliser l’entretien de son domicile, ses courses, la préparation de ses repas, si cette première ne centre ses pratiques que sur les aspects techniques de ses missions, sans aucunement prêter attention à Monique ni interagir avec elle, elle ne s’inscrit pas pleinement dans dans une approche du “care” entendu comme “prendre soin”. Certes, le domicile est propre, le réfrigérateur plein et l’assiette garnie, mais si Monique est isolée, sans personne autour d’elle pour répondre à ses besoins affectifs et psycho-sociaux, ces soins quotidiens ménagers ne suffiront pas à nourrir l’être humain qu’elle est.
Par cet exemple, lui aussi écrit à grands traits, l’idée n’est absolument pas de jeter l’opprobre ou une quelconque responsabilité sur l’auxiliaire de vie de Monique. Non, l’idée, au contraire, est de poursuivre plus avant cette présentation, en sortant de la dualité primaire du “care” et du “cure”, pour aller du côté de “l’éthique du care” qui est une approche sociale et politique qui abolit les frontières entre les territoires des uns et des autres en matière de soins. Accéder à notre article sur la naissance des « éthiques du care ».

 

  1. Entretien avec Sandra Laugier par Catherine Abou El Khair, Santé et Travail, juillet 2020 https://www.sante-et-travail.fr/metiers-du-care-nous-permettent-mener-vie-ordinaire
  2. Propos de Jean Claude Ameisen recueillis dans la vidéo consacrée à “Cynthia Fleury - Leçon inaugurale de la chaire Humanités et santé” du CNAM https://www.youtube.com/watch?v=uHhcjo5uwUA
  3. Marie Garrau, “Le Care : entre théorie et pratique” https://www.youtube.com/watch?v=FSpGIl5q0O4

Retrouvez tout notre dossier thématique consacré aux concepts de care et d'éthiques du care

  1. Pourquoi parler de "care" pour désigner les métiers du "prendre soin" ? https://ouicare.com/bien-chez-soi/pourquoi-parler-de-care-pour-designer-les-metiers-du-prendre-soin/
  2. La naissance du "care" ou le renversement des éthiques https://ouicare.com/bien-chez-soi/la-naissance-du-care-ou-le-renversement-des-ethiques/
  3. Ethique du care : deuxième vague https://ouicare.com/bien-chez-soi/ethique-du-care-deuxieme-vague/