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Bien chez soi

L’aide des enfants peut-elle nuire à leurs parents âgés ?

Temps de lecture : 3 minutes 40 secondes

Il y a des personnes que l’on va aider sans compter, sans même écouter sa fatigue et son stress – notamment ses propres parents devenus âgés.

Et si on avait tort de ne pas s’écouter…?

Malgré le mouvement de professionnalisation de l’aide aux plus âgés qui s’enclenche à partir des années 1960, l’aide des proches reste la norme. Il suffit de voir les résultats de l’enquête CARE-Ménages de 2015 pour s’en rendre compte : seule 1 personne âgée sur 5 vivant à domicile déclare recevoir l’aide exclusive d’un professionnel [1]. L’entourage est donc très présent et intervient majoritairement seul sans appui extérieur.

Le conjoint et les enfants représentent les principaux aidants dans l’entourage, avec des différences néanmoins selon le sexe et l’âge de la personne aidée : 62% des femmes et 63% des plus de 75 ans seraient aidés par au moins un de leurs enfants [1].

A l’heure où des avancées sont proposées pour favoriser le congé des proches aidants, que sait-on des implications pour un parent âgé de se faire aider au quotidien par ses propres enfants ? On sait que le rôle d’aidant peut s’avérer extrêmement lourd de conséquences pour le proche aidant. Mais qu’en est-il pour le proche âgé aidé ?

Pour asseoir la réflexion, voici 2 études qui appréhendent à des niveaux différents l’impact possible de l’aide des enfants sur leur parents âgés.

RECEVOIR DE L’AIDE DE LA PART DE SES ENFANTS QUAND ON EST ÂGÉ : QUELLES CONSÉQUENCES SUR LE PLAN PSYCHOLOGIQUE ?

La première étude s’est intéressée aux conséquences psychologiques de l’aide apportée par les enfants à leurs proches âgés, notamment en termes de bien-être et de dépression [2].

Partant du constat qu’il existait des résultats contradictoires quant à l’impact du soutien reçu sur la santé et le bien-être des seniors [3], ces chercheurs ont voulu comprendre ce qui pouvait expliquer un tel décalage en s’intéressant à l’impact que pouvait générer l’aide des enfants sur leurs parents âgés.

Ils ont alors observé que tout dépendait du niveau et de l’intensité de l’aide apportée :

  • d’un côté, une aide faible ou modérée favoriserait le bien-être des personnes ;
  • d’un autre côté, une aide importante aurait un impact négatif sur leur bien-être psychologique.

Cette conséquence négative serait, par ailleurs, d’autant plus marquée que les proches âgés ne sont pas en attente d’aide de la part de leurs enfants. Ainsi, une aide non désirée et trop présente de la part des enfants nuirait plus fortement encore à la qualité de vie des personnes âgées, renforçant un sentiment de vulnérabilité et d’impuissance qui participe pour beaucoup au déclin des capacités avec l’âge.

Se joue finalement ici le même mécanisme que celui évoqué dans un précédent article : une aide trop importante et trop intrusive est néfaste pour la santé et le bien-être des plus âgés.

Ces résultats corroborent par là-même d’autres travaux témoignant d’une influence négative de l’aide apportée par les enfants à leurs parents âgés [4], en lien notamment avec le fait qu’un soutien trop important peut entraîner une réévaluation douloureuse de la relation parent-enfant marquée par l’inversion des rôles. Devenir l’aidant de son proche âgé pour les différentes activités du quotidien bouleverse assurément la place des uns et des autres et la nature des relations, ce qui peut être douloureux à vivre de part et d’autre.

Et qu’en est-il de l’aide apportée par les parents âgés à leurs enfants ?

Les chercheurs n’observent pas d’effet de seuil à partir duquel l’aide apportée peut nuire à la qualité de vie. Au contraire, pouvoir continuer à aider ses enfants, même de manière très importante, favoriserait fortement le bien-être des personnes âgées, en réduisant notamment le risque de dépression chez les veufs et les célibataires.

RECEVOIR DE L’AIDE DE LA PART DE SES ENFANTS QUAND ON EST ÂGÉ : QUELLES CONSÉQUENCES SUR LE FONCTIONNEMENT COGNITIF ?

Dans la seconde étude, les chercheurs se sont intéressés à l’impact que pouvait avoir l’aide apportée aux aînés, cette fois, sur leur fonctionnement cognitif [5]. Le point de départ de leur recherche : les résultats actuels sont contradictoires et ne permettent pas d’établir clairement un lien de causalité direct entre l’aide reçue et le fonctionnement cognitif.

Se basant sur des données de l’enquête européenne SHARE [6], ces chercheurs ont ainsi mis en évidence que l’aide informelle des enfants (soins personnels, travaux ménagers, tâches administratives) était corrélée positivement à une diminution des performances cognitives chez leurs proches âgés.

Plus précisément, ils ont ainsi établi un lien de causalité statistique entre 1) l’aide apportée par les filles adultes à leur mère âgée et 2) le déclin cognitif avec le vieillissement de ces dernières.

Un tel effet négatif serait lié au fait que les filles auraient tendance à adopter une attitude trop “enveloppante” en prenant en charge les affaires courantes de leur proche. Le fait de vouloir aider en réalisant les actes du quotidien à la place de leur mère met ces dernières dans une situation de passivité qui est néfaste pour leur santé.

Ces données suggèrent donc que recevoir trop d’aide (ici l’aide informelle de ses enfants) participe à une évolution négative en vieillissant” [7]

L’aide apportée par les enfants à leurs parents âgés est extrêmement importante. Sur elle repose en partie le système d’assistance en France et la solidarité familiale constitue un repère pour beaucoup de nos concitoyens.

Pour autant, aider un proche âgé est une posture qui va au-delà du geste d’amour. C’est aussi une posture qui s’apprend. En cela, la complémentarité des aides, celle de l’entourage et celle des professionnels, constitue alors une configuration qui peut s’avérer tout à fait bénéfique pour la personne aidée comme pour ses proches.

Notes

  1. Données issues de l’enquête CARE-Ménages de 2015 relatives aux personnes de 60 ans ou plus vivant à domicile. Brunel, M., Latourelle, J. et Zakri, M. (2019). “Un senior à domicile sur cinq aidé régulièrement pour les tâches du quotidien”. Etudes & Résultats, Drees, n°1103. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/er1103.pdf
  2. Silverstein, M., Chen, X. & Heller, K. (1996).”Too much of a good thing ? Intergenerational social support and the psychological well-being of older parents”. Journal of Marriage and Family, 58(4) : 970-982.
  3. Alors que pour certains chercheurs, le soutien reçu favoriserait le bien-être des personnes âgées, pour d’autres, cela augmenterait au contraire la détresse psychologique des aînés.
  4. Wolff & Agree, 2004 in Bonsang & Bordone [10] ; Pyke, K. & Bengtson, L. (1996). “Caring More or Less : Individualistic and Collectivist Systems of Family Eldercare”. Journal of Marriage and the Family, 58(2) : 379-392.
  5. Bonsang, E. & Bordone, V. (2013). The Effect of Informal Care from Children on Cognitive Functioning of Older Parents ? Netspar Discussion Papers, Network for Studies on Pensions, Aging and Retirement. https://www.netspar.nl/assets/uploads/008_Bonsang.pdf
  6. Enquête sur la santé, le vieillissement et la retraite en Europe. http://www.share-project.org
  7. Adam, S. “Conséquences de l’âgisme sur les attitudes de soin”. l’Observatoire de l’Agisme. http://www.agisme.fr/spip.php?article87