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Bien chez soi

Pourquoi les bonnes intentions ne suffisent pas

Temps de lecture : 2 minutes 20 secondes

Manque de sollicitation, atrophie des capacités, atteinte identitaire, blessure narcissique…

En quoi puis-je t’aider ?

On pense souvent qu’aider n’exige pas de compétences particulières, juste de la bonne volonté et l’envie d’être utile. Cela est vrai dans une certaine mesure. Mais aider, c’est aussi savoir garder la bonne distance et analyser ses conduites. C’est aussi accompagner sans faire à la place de l’autre, sans être intrusif ou déposséder la personne de son libre arbitre et de son désir.

Pour conclure notre série d’articles consacrés au « savoir aider », intéressons-nous aux raisons pour lesquelles un soutien peut s’avérer négatif. Pourquoi l’aide apportée avec les meilleures intentions peut-elle être préjudiciable aux aînés ?

Il existe plusieurs raisons à cela que l’on peut synthétiser en deux grands registres explicatifs.

1. USE-IT OR LOSE-IT

Le premier registre explicatif renvoie à une notion très ancienne énoncée en ces termes par Sorenson en 1938 : “use-it or lose-it” [1].

Selon ce principe, le manque de sollicitation et l’absence de mobilisation de ses capacités – physiques comme mentales – entraîneraient leur perte progressive.

  • C’est pour cette raison que la sédentarité et la limitation des activités sont si néfastes pour la santé et l’autonomie des individus âgés [2].
  • C’est pour cette même raison que l’hospitalisation est un facteur aggravant de la perte d’autonomie chez les plus de 75 ans [3].
  • Dans un autre registre, c’est aussi pour cela que l’Assurance Maladie encourage désormais le mouvement en cas de mal de dos et de lombalgie [4].

« les premières restrictions dans les activités domestiques, qui touchent d’abord l’habitat et l’environnement du logement, l’accès aux transports, augmentent le risque de basculer de l’autonomie au sens de l’APA (Gir 5-6) vers la dépendance (Gir 1-4) » [5].

2. BAISSE DE L’ESTIME DE SOI & CO

Le second registre explicatif est plus d’ordre psychologique. Cela renvoie aux effets négatifs que le soutien social peut générer en termes d’estime de soi et de sentiment de compétence et de contrôle.

Une recension des travaux en psychologie sociale concluait déjà il y a près de 40 ans que la baisse de l’estime de soi était la principale réaction à l’aide offerte [6].

Recevoir une aide sans possibilité de “contre-don” est une situation psychologique plutôt inconfortable et irritante quel que soit son âge. Certes, cela dépend des cultures, du statut social des interlocuteurs et des psychés individuelles, mais recevoir de l’aide sans pouvoir rendre la pareille de quelque manière que ce soit, cela peut être vécu comme un déshonneur, une atteinte à la liberté ou un acte de domination.

Quand on sait que l’avancée en âge induit des transitions majeures dans la vie d’une personne avec des renégociations identitaires pas toujours évidentes à gérer d’un point de vue personnel mais aussi familial, on saisit l’atteinte psychologique que peut constituer l’aide d’autrui. Et plus encore l’aide de ceux-là mêmes que l’on attend pas [7].

Que nos intentions soient bienveillantes, il n’en reste pas moins qu’une aide intrusive, imposée ou trop importante contrevient à l’indépendance physique et à l’autonomie décisionnelle des individus, générant des sentiments de perte de contrôle, d’inutilité et d’incompétence particulièrement délétères sur le plan de la santé et du bien-être.

Il existe, en effet, une interaction infiniment forte entre le psychisme et le corps, une forme d’interdépendance qui fait que les sentiments négatifs à l’égard de soi-même ont un impact négatif sur le corps et le maintien des capacités… et que, à l’inverse, une érosion des capacités par manque de sollicitation renforce une image et une estime de soi négatives qui génèrent à leur tour un déclin des capacités… Quel que soit le sens, le cercle reste vicieux !!

  1. Sorenson, H. (1938). Adult abilities. Minneapolis : University of Minnesota Press.
  2. INPES (2005). Prévention des chutes chez les personnes âgées à domicile. Mai 2005 ; Blondell, S.J., Hammersley-Mather, R. & Veerman, J.L. (2014). Does physical activity prevent cognitive decline end dementia ? : A systematic review and meta-analysis of longitudinal studies. BMC Public Health, 14 ; NDoye, S. (2010, avril). Comprendre les liens entre la santé, la participation sociale et l’environnement : un état des lieux de la recherche française. Communication présentée aux Journées de la Prévention, INPES, 8 avril 2010.
  3. Anesm (2016). Repérage des risques de perte d’autonomie ou de son aggravation pour les personnes âgées – Volet Domicile. Personnes âgées – Recommandations de Bonnes Pratiques Professionnelles & Fiches-Repères. https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2018-03/anesm-rbpp_reperage_des_risques_personnes_agees_a5-bat_-_pdf_interactif.pdf
  4. “Mal de dos : le bon traitement, c’est le mouvement !”. https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/lombalgie-aigue/traitement-prevention
  5. Renaut, S., & al. (2012). L’aménagement du logement, son accessibilité et les aides techniques. Usages et besoins, connaissance des dispositifs dans l’enquête Handicap-Santé. Rapport Cnav, p.12
  6. Fisher & coll. (1982). In Michaëlis, N. (2012). Conduites d’appropriation individuelle et collective du soutien social : une recherche action dans le cadre d’un dispositif d’aide aux personnes en situation de souffrance au travail. Thèse de Doctorat de Psychologie. Toulouse : Université de Toulouse II.
  7. Bonsang, E. & Bordone, V. (2013). The Effect of Informal Care from Children on Cognitive Functioning of Older Parents ? Netspar Discussion Papers, Network for Studies on Pensions, Aging and Retirement. https://www.netspar.nl/assets/uploads/008_Bonsang.pdf